Complexe scolaire « Homme comme toi », une école qui redonne de l’espoir aux enfants vivant avec handicap en RDC
En République démocratique du Congo, la plupart des enfants vivant avec handicap sont analphabètes et mal aimés dans la société. Beaucoup refusent d’aller à l’école pour éviter d’être insultés et stigmatisés par leurs camarades. Mais à Mbujimayi, une religieuse catholique, sœur Wivine Lukalu, a décidé de leur faciliter la tâche. Elle a créé une école dénommée « Homme comme toi ». Elle est réservée uniquement aux handicapés.
Je vous fais découvrir cette école unique en son genre. Elle est située le long de l’avenue Mpandajila dans la commune de Dibindi, dans la partie est de la ville. C’est un bâtiment en étage qui se distingue des constructions environnantes.
J’ai posé la question à la sœur Wivine : « Pourquoi ton école s’appelle « Homme comme toi » alors que tu es une femme ? » Sa réponse : « Il s’agit du mot Homme avec grand H, c’est-à-dire toute personne humaine. »
À la récréation
Mon arrivée sur place, coïncide avec la récré. Les élèves, en uniforme bleu-blanc, sortent des salles et se mettent à jouer dans la cour de l’école. Des filles et des garçons, pêle-mêle, tous handicapés. Des aveugles, des sourds-muets, des louches, des bègues, des attardés mentaux, des malentendants, des boiteux, des malvoyants, etc. Certains sont dans des chaises roulantes. D’autres bavent et sont « multi-handicapés ». On m’a montré un garçon à la fois sourd, boiteux, louche et ayant des difficultés de langage.
Ce qui m’a frappé dans cette école c’est le fait que tous ces enfants ont l’air très contents. Ça plaisante, ça rigole, ça se taquine, ça court dans tous les sens. Certains marchent clopin-clopant, jouent au football, esquissent des pas de danse…
Le langage des signes est une véritable langue parlée ici. Chacun comprend chaque signe, mais moi j’ai des difficultés à saisir le sens. Ils ont l’air épanouis. L’école est un petit paradis pour ces enfants vivant avec handicap. J’ai posé une question à un élève paralytique qui était-là : pourquoi tu as accepté de venir étudier ici ? Sa réponse : « Ici c’est bien. Dans d’autres écoles on se moquait de moi et on me tapait. Ici c’est bien et je suis content… »
« Maman Wivine »
Les enfants considèrent la promotrice, sœur Wivine, comme leur mère à la maison. Ils l’appellent « maman Wivine ». Ils viennent lui raconter tout, lui demander tout, dénoncer tout celui ou toute celle qui a mal agi… Quelqu’un qui se sent menacé crie : « Maman Wivine ! Maman Wivine ! » Ils se sentent vraiment chez eux.
La sœur Wivine est très satisfaite d’avoir réalisé ce projet. Elle en parle avec beaucoup d’émotion : « Ces enfants étaient abandonnés, délaissés, stigmatisés, victimes de haine et de discrimination, même dans leurs propres familles à cause de leur handicap. Ils étaient rejetés dans les écoles fréquentées par des enfants valides. Je ne pouvais pas tolérer cela. Ce sont des hommes et des femmes comme vous et moi. Ils ont droit à l’éducation pour leur épanouissement. Voilà pourquoi j’ai créé pour eux cette école avec l’appui de l’Italie et de la congrégation des sœurs de la Charité de Jésus de Marie. »
Après la récré, la soeur Wivine est fière de me faire visiter chaque salle de classe. Il y a une quarantaine d’élèves vivant avec handicap qui suivent les cours. Elle explique : « Au début de l’année, ils étaient une centaine, mais beaucoup on fait défection et préféré rester à la maison. Actuellement, ils sont au nombre de 45 qui suivent régulièrement les cours. »
J’étais très ému en voyant ces enfants étudier. Ici, un jeune aveugle lit l’écriture braille, là-bas une fillette avec une malformation faciale apprend à écrire la lettre a. Le tout sous la surveillance des enseignantes et enseignants bien formés à l’encadrement de personnes vivant avec handicap.
Homme comme toi, c’est efficace, ça résoud un problème réel
L’école « Homme comme toi » ne dispense pas que des cours d’alphabétisation. Elle apprend aussi des métiers aux enfants pour les rendre utiles à la société. Coupe et couture, tissage, cordonnerie, agriculture… À mon avis, c’est en cela que cette école est intéressante. Car, une fois que l’élève aura maitrisé un métier, cela pourra le rendre financièrement autonome.
J’ai rencontré Marie-Jeanne, une femme d’un certain âge et dont l’enfant sourde-muette étudie dans ce complexe scolaire. « N’eût été cette école, ma fille serait une vaurienne à la maison. Mais aujourd’hui, elle nous est utile. L’école lui a appris la coupe et couture et ma fille s’y prend très bien. Je souhaite longue vie à cette école ! », dit-elle, très reconnaissante.
Les résultats positifs de cette école ne sont pas à démontrer : ces enfants handicapés autrefois totalement analphabètes, savent désormais lire et écrire. Ils parlent un bon français qu’ils ont appris ici. Et on sait combien la langue française peut être une clef pour certains emplois en République démocratique du Congo.
Des handicapés délaissés qui retrouvent le sourire, c’est déjà très positif. Ils savent désormais que vivre avec handicap n’est pas une fatalité. L’école s’évertue à leur montrer régulièrement des modèles de handicapés qui ont réussi dans leurs vies. Exemple : l’actuelle ministre congolaise des Personnes vivant avec handicap, Irène Esambo, est elle-même une handicapée. Elle se déplace grâce à une chaise roulante, mais cela ne fait pas d’elle moins une ministre de la République.
« Nous donnons un enseignement conforme aux standards de l’enseignement congolais. Les enfants que nous encadrons participent comme tout le monde au test national de fin d’études lancé chaque année par l’État congolais. Je suis heureuse de vous annoncer que trois de nos élèves ont réussi à ce test, tous des sourds : deux filles et un garçon », se félicite la sœur Wivine.
Difficultés de la promotrice
Malgré sa belle apparence, le Complexe scolaire « Homme comme toi » a pourtant d’énormes soucis. Les matériels didactiques appropriés à ce type d’enseignement, manquent cruellement. C’est par exemple les matériels pour aveugles. L’internat de l’école n’a pas assez de nourriture pour les cinq enfants internés (deux filles et trois garçons dont certains sont orphelins de père et de mère). Les kits scolaires, les assiettes et les ustensiles de cuisine sont également insuffisants dans cet internat.
Sœur Wivine a besoin d’un soutien : « Chaque jour, je me bats comme un diable dans un bénitier pour que ces enfants mangent et aient un savon pour se laver et laver leurs habits. On tient tant soit peu grâce aux moyens du bord. On a un atelier de couture, je cultive, je fais l’élevage et cela me permet d’avoir un peu d’argent, mais c’est insuffisant par rapport aux besoins. Certes, la Conférence épiscopale d’Italie a construit pour nous cette école, mais ne nous donne pas les frais de fonctionnement. A travers votre média, toute assistance est la bienvenue. Ce projet n’est pas du blabla, mais c’est du concret. Ç’a un impact positif sur la communauté. »
De son côté, l’État congolais a reconnu l’importance de cette école. Il l’a déjà homologuée, mais ne l’a pas encore entièrement budgetisée. « Sept enseignants ne sont pas encore budgetisés », m’a dit la sœur Wivine.
Pour plus de précisions, je me suis rendu à la division de l’enseignement primaire secondaire et technique, laquelle constitue l’administration de l’Etat en matière de l’éducation nationale. C’est ici que les dossiers de toutes les écoles sont traités et archivés.
Lorsque j’ai expliqué ce que je cherchais comme renseignement, la réceptionniste m’a immédiatement orienté au bureau du service d’administration de l’enseignement technique et spécial. C’est donc ce service qui gère les dossiers des écoles des personnes vivant avec handicap. Et c’est là que j’ai rencontré monsieur Mutombo Nkunda ya Bangi. Il est le chef de division de l’administration de l’enseignement technique et spécial.
Je lui ai parlé du reportage que j’étais en train de faire sur le Complexe scolaire Homme comme toi. Il m’a dit : « Homme comme toi est la seule école spéciale bien organisée ici à Mbujimayi et dans toute la province du Kasaï-Oriental. En tant que service de l’État, nous avons étudié son dossier et mené une enquête. Nous avons trouvé que c’est la seule école viable et bien organisée. Nous avons fait notre rapport et le gouvernement lui a accordé un arrêté d’agrément et un numéro matricule. »
A la question de savoir pourquoi l’école Homme comme toi n’est pas budgétisée alors qu’elle dispose d’un agrément et d’un numéro matricule de l’État congolais, le chef de division Mutombo a répondu : « Je confirme que l’école est déjà budgétisée, la moitié de son personnel est payé par l’État chaque mois. »
Il a ouvert un tiroir et m’a montré le dossier du Complexe scolaire Homme comme toi. « Regardez leur fiche. Tout leur personnel est constitué de 16 personnes. 8 sont déjà prises en charge par l’État. Voici leurs noms. Les 8 autres sont en attente, car le dossier suit son cours normal à Kinshasa. Malheureusement, le récent changement de gouvernement n’a pas facilité les choses. Néanmoins, on espère que ce sera bientôt réglé », m’a-t-il expliqué.
Bref, grâce aux efforts de la sœur Wivine et son école « Homme comme toi », les handicapés de Mbujimayi bénéficient tant soit peu d’une prise en charge scolaire. Ce sont des efforts à encourager.
Jean-Hubert Bondo