RDC : donner la priorité à la justice pour les crimes graves
Le gouvernement fraîchement investi en République démocratique du Congo devrait adopter une stratégie claire pour que les personnes soupçonnées d’être pénalement responsables de graves violations des droits humains soient amenées à rendre des comptes, a déclaré aujourd’hui une coalition de plus de 50 organisations de la société civile congolaise et internationale.
Le nouveau gouvernement du président Felix Tshisekedi, dirigé par le Premier ministre Sama Lukonde, a une opportunité historique de s’attaquer aux crimes graves, passés ou récents, commis en violation des normes du droit international, notamment ceux décrits dans le Rapport Mapping des Nations Unies publié en 2010. Le gouvernement devrait rendre justice et accorder des réparations aux victimes et à leurs familles et mener à bien l’assainissement (vetting) et les réformes du secteur de la sécurité attendues depuis si longtemps.
« Des décennies d’impunité pour des crimes graves continuent d’alimenter les conflits et les exactions en RD Congo », a déclaré le Dr Denis Mukwege, lauréat du prix Nobel de la paix. « Le président Tshisekedi devrait maintenant passer de la parole aux actes et adopter une stratégie visant à remédier à l’absence choquante de justice et aux conséquences de l’impunité ».
Au cours de conflits armés successifs à plusieurs niveaux qui ont dévasté le pays depuis le début des années 1990, les armées congolaise et étrangères, ainsi que les groupes armés non étatiques, ont commis d’innombrables crimes au regard du droit international, notamment des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, ainsi que de graves violations des droits humains.
Le président Tshisekedi a promis à plusieurs reprises de rétablir la justice et l’État de droit. Pourtant, depuis son entrée en fonction il y a plus de deux ans, il n’a toujours pas défini les mesures concrètes que son administration entend prendre pour mettre fin à l’impunité et aux cycles de violence. Son gouvernement précédent, dirigé par l’ancien Premier ministre Sylvestre Ilunga, a travaillé sur deux propositions de décret de justice transitionnelle qui se concentraient uniquement sur des initiatives non judiciaires et n’ont pas réussi à combler le déficit de responsabilité omniprésent en RD Congo. Les efforts de justice transitionnelle ne seront crédibles que s’ils incluent et accordent la priorité à la responsabilité pénale pour les crimes graves, conformément au droit international, ont déclaré les organisations de la coalition.
Les organisations signataires ont exhorté le président Tshisekedi et le Premier ministre Lukonde à s’engager publiquement à faire de la lutte contre l’impunité une priorité absolue et à fournir rapidement une feuille de route pour la justice transitionnelle qui devrait inclure la mise en place :
- D’un mécanisme judiciaire international ou un mécanisme à forte composante internationale pour enquêter sur, et poursuivre les graves crimes internationaux commis en RD Congo, notamment ceux documentés dans le Rapport Mapping de l’ONU, couvrant les crimes commis entre 1993 et 2003, et d’autres plus récents, que les auteurs des crimes soient congolais ou étrangers. Le mécanisme judiciaire devrait, au moins dans un premier temps, être composé de personnel international et congolais. Cela pourrait aider à développer des capacités et une expertise spécialisées au sein du personnel judiciaire congolais et contribuer à renforcer le système judiciaire au niveau national. Cela pourrait également aider à protéger le mécanisme contre les interférences politiques, militaires et économiques dans le cadre des affaires sensibles. Ce mécanisme devrait respecter les normes internationales et disposer de ressources financières, matérielles et humaines suffisantes pour mener à bien son mandat. En outre, il devrait garantir la participation des victimes aux procédures et permettre aux communautés affectées d’accéder facilement aux informations ayant trait à son travail.
- D’un mécanisme d’assainissement (vetting) permettant d’identifier et de démettre provisoirement de leurs fonctions les agents des forces de sécurité et d’autres responsables de l’exécutif susceptibles d’avoir été impliqués dans de graves violations des droits humains, le temps que leurs dossiers soient traités. Ce mécanisme d’assainissement devrait tenir compte des rapports du Groupe d’experts des Nations Unies sur la RD Congo, du Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’homme (BCNUDH), du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies et des organisations congolaises et internationales de défense des droits humains. Il devrait également aller de pair avec un programme solide de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR) des anciens combattants des groupes armés, afin de séparer les personnes accusées de crimes graves de celles qui sont immédiatement éligibles à la démobilisation et à la réintégration. Les personnes accusées de crimes graves devraient faire l’objet d’une enquête équitable et, s’il existe suffisamment de preuves recevables, être poursuivies en justice.
- D’un programme complet de réparations pour les victimes de crimes internationaux graves et leurs familles, notamment les victimes et les survivantes de violences sexuelles et basées sur le genre, conformément au droit international, afin de les aider à reconstruire leur vie. Ce programme devrait permettre de réparer les préjudices subis sous forme de restitution, d’indemnisation, de réadaptation, satisfaction et garanties de non-répétition.
Le Rapport Mapping, publié en 2010, documente plus de 600 incidents de violations graves des droits humains et du droit humanitaire international commises en RD Congo entre mars 1993 et juin 2003, notamment des massacres, des violences sexuelles, des attaques contre des enfants et d’autres exactions graves. Les recommandations du rapport, notamment la mise en place d’un mécanisme judiciaire chargé d’enquêter sur les crimes documentés et d’engager des poursuites, n’ont pas encore été mises en œuvre.
Environ 120 groupes armés continuent de s’en prendre aux civils dans les régions de l’est du pays, parmi lesquels plusieurs groupes qui se sont rendus responsables de massacres à grande échelle et d’autres exactions graves. Les troupes gouvernementales ont également joué un rôle majeur dans les violences récentes, des officiers présumés coupables d’exactions occupant toujours des postes de haut niveau dans la chaîne de commandement. Les récentes atrocités et violences à grande échelle ont également causé d’immenses souffrances ailleurs dans le pays, notamment dans la région du Kasaï, dans le centre, et dans le territoire de Yumbi, à l’ouest, et tous ces crimes, à quelques exceptions près, restent impunis.
L’ampleur des crimes contraste fortement avec l’impunité qui prévaut dans le pays, ont déclaré les groupes de la coalition. Au fil des ans, des chefs de guerre impliqués dans des exactions ont été intégrés dans l’armée, la police et les services de renseignement congolais. Certains ont également été promus et nommés à des postes politiques clés, tout en restant impliqués dans les exactions et en profitant de l’économie de guerre. Les troupes congolaises utilisent souvent des groupes armés auteurs d’exactions comme forces auxiliaires, tandis que des gouvernements étrangers ont apporté leur soutien à des milices rebelles responsables d’abus, en toute impunité. Des groupes armés et des milices contrôlent toujours des pans entiers du territoire, harcelant les civils et leur imposant des « taxes », parfois avec l’aval des soldats gouvernementaux.
°Cet article est de Human Right Watch. Lisez l’intégralité sur le site de HRW en cliquant sur ce lien.