RDC : il faut enquêter sur le rôle de l’État dans le meurtre de deux experts de l’ONU
Le procès avance lentement, 4 ans après les assassinats de Michael Sharp et Zaida Catalán. (Un article de HRW).
(Kinshasa) – Les autorités de la République démocratique du Congo devraient enquêter de manière significative sur la responsabilité du gouvernement dans les meurtres, commis en 2017, des enquêteurs des Nations Unies, Michael Sharp et Zaida Catalán. L’administration du président Félix Tshisekedi devrait s’engager à faire en sorte que tous les individus responsables de ces meurtres rendent des comptes et que les normes internationales d’un procès équitable soient respectées.
Le 12 mars 2017, des assaillants ont sommairement exécuté Zaida Catalán, une Suédoise, et Michael Sharp, un citoyen des Etats-Unis, alors qu’ils documentaient, pour le compte du Conseil de sécurité de l’ONU, de graves violations des droits humains perpétrées dans la province du Kasaï-Central. Les casques bleus de l’ONU ont retrouvé leurs corps deux semaines plus tard près du village de Bunkonde. Leur interprète congolais, Betu Tshintela, est toujours porté disparu, de même que les trois chauffeurs de moto qui les accompagnaient – Isaac Kabuayi, Pascal Nzala et Moïse (nom de famille inconnu). Le procès d’une cinquantaine de prévenus, s’est ouvert en juin 2017 devant un tribunal militaire de Kananga, la capitale provinciale, et une équipe spécialisée de l’ONU, le Mécanisme de suivi, y apporte soutien et conseil.
« La justice congolaise devrait explorer toutes les pistes afin que toute la vérité soit révélée sur l’assassinat des experts de l’ONU, le sort de leur interprète et de leurs chauffeurs », a déclaré Thomas Fessy, chercheur principal pour la RD Congo chez Human Rights Watch. « D’autres hauts fonctionnaires, notamment ceux dont la responsabilité serait d’avoir planifié et ordonné les meurtres, devraient faire l’objet d’enquêtes.»
Des violences liées au contrôle coutumier des chefferies locales ont éclaté dans la région du Kasaï en 2016. Ce conflit était clairement lié à la dynamique politique nationale, l’armée congolaise soutenant l’autorité de personnes considérées comme fidèles au président de l’époque, Joseph Kabila, et à sa coalition politique, et certaines milices armées soutenant des personnes considérées comme plus proches de l’opposition. Ces violences ont causé la mort de centaines de personnes et le déplacement de plus de 200 000 personnes.
Le gouvernement Kabila avait rapidement imputé ces meurtres à la milice Kamuina Nsapu. Mais un nombre croissant de preuves a mis en évidence le rôle de responsables de l’Etat, notamment grâce aux enquêtes menées par Human Rights Watch, aux reportages de Radio France Internationale (RFI) et de Reuters, ainsi qu’une investigation conduite par un consortium de médias internationaux connue sous le nom de « Congo Files. »
Les tribunaux de Kananga ont mené les procédures avec lenteur et le procès a été suspendu de mars à octobre 2020, en raison de la pandémie de Covid-19. Plus de cinquante prévenus ont jusqu’à présent été inculpés mais seulement une dizaine d’entre eux ont été directement cités lors des audiences. D’autres accusés restent toujours introuvables et deux prévenus sont morts en détention dans des conditions suspectes. Au moins trois autres accusés ont affirmé avoir été torturés par la police et au siège de l’agence nationale de renseignement (ANR). D’autres se sont évadés de la prison de Kananga en mai 2019 et n’ont pas été appréhendés. Le manque d’assistance judiciaire pour certains prévenus, en violation de leurs droits fondamentaux, a également causé de nombreux retards dans la procédure, et les services de sécurité congolais se seraient ingérés dans l’enquête.
Au cours de l’année écoulée, les autorités ont arrêté trois individus présentés comme des acteurs clés dans les assassinats. Une vidéo de l’exécution, qui a circulé pendant les semaines ayant suivi les assassinats, n’a cependant pas encore été examinée en tant que preuve matérielle permettant d’identifier les assaillants.
L’instruction devrait aller au-delà des exécutants et, s’il y a lieu, orienter l’enquête vers les échelons supérieurs de la chaîne de commandement, a affirmé Human Rights Watch. Le colonel Jean de Dieu Mambweni, officier militaire, et Thomas Nkashama, agent de l’immigration, sont les seuls responsables des services de sécurité ou de l’État parmi les prévenus. José Tshibuabua, un suspect qui était un informateur de l’Agence nationale de renseignement, est mort en détention fin 2019.
« Ce ne sont pas seulement nos familles mais aussi les populations du Kasaï et du Congo qui méritent de savoir la vérité », a déclaré Elizabeth Morseby, la sœur de Zaida Catalán, par téléphone à Human Rights Watch. « Eux aussi ont besoin de refermer la plaie suite aux horribles abus sur lesquels Zaida et Michael enquêtaient dans la région. Il est dans l’intérêt de tous que cette affaire soit résolue.»
Lors d’audiences plus récentes, le ministère public a commencé à analyser des relevés téléphoniques apportant des preuves circonstancielles selon lesquelles certains des prévenus étaient effectivement en contact à l’époque des meurtres, contredisant ainsi les récits précédents basés sur leurs témoignages.
Un signe de progrès est le fait que davantage de personnes disposant d’informations potentiellement pertinentes ont été appelées à comparaitre devant le tribunal. Il s’agit, entre autres, de Sonia Rolley, journaliste de RFI, qui se trouvait au Kasaï-Central au moment des faits et qui a depuis enquêté dessus.
Le président Tshisekedi avait affirmé, lors de réunions avec Human Rights Watch et des hauts fonctionnaires des Etats-Unis, notamment, qu’il était déterminé à faire en sorte que toute la vérité soit enfin révélée, et que les principaux responsables des meurtres soient tenus de rendre des comptes. Les hauts fonctionnaires impliqués, actuels et anciens, ne devraient pas s’en tirer sans poursuites et toute personne qui s’immisce dans la procédure, falsifie des preuves ou menace les prévenus et témoins devrait être dûment sanctionnée.
Lire l’intégralité de l’article sur le site de Human Right Watch en cliquant sur ce lien.