RDC : 10 ans après, toujours pas de justice pour les victimes de l’Opération Likofi
Il y a 10 ans, la police congolaise lançait une opération meurtrière au cours de laquelle au moins 51 jeunes hommes et garçons ont été abattus et 33 autres ont disparu, à Kinshasa. Le 21 novembre 2023, les familles des victimes ont réitéré leur plainte dans une lettre publique de rappel adressée au procureur général de la République.
Dix-sept organisations non-gouvernementales congolaises et internationales réitèrent leur appel pour que les responsables de cette opération rendent des comptes.
Lancée le 15 novembre 2013 par le gouvernement congolais, l’« Opération Likofi » ou « coup de poing » en lingala entendait mettre fin à la criminalité urbaine perpétrée par les membres de gangs violents connus sous le nom de « kulunas ». Les kulunas, généralement armés de couteaux, machettes, morceaux de verre, et autres armes blanches, sont responsables d’actes criminels, notamment des agressions violentes de personnes et des vols. Ils ont également été mobilisés autour de l’année 2006 par des leaders politiques soit pour se protéger soit pour intimider leurs opposants pendant les périodes électorales.
Durant trois mois, entre novembre 2013 et février 2014, en menant une opération de traque et de démantèlement des gangs dans la capitale, la police a commis des exactions, notamment des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées. Lors d’expéditions à travers la ville, des policiers en uniforme et cagoulés, ont trainé des jeunes gens hors de chez eux sans mandat d’arrêt, les ont abattus devant des membres de leurs familles ou leurs voisins. Certaines familles n’ont jamais récupéré les corps de leurs proches, les empêchant ainsi d’organiser des funérailles. D’autres ont été exécutés dans des terrains vides, des marchés ou d’autres espaces isolés. Des dizaines ont été emmenés vers des destinations inconnues et leurs familles n’ont plus jamais eu de nouvelles d’eux.
« Tant que je n’aurai pas vu le cadavre de mon fils, pour moi je crois qu’il est en vie et j’exige aux autorités de me montrer où elles cachent mon enfant », a déclaré la mère de Jonas (pseudonyme), âgé de 19 ans au moment des faits et toujours porté disparu.
Suite au tôlé déclenché par cette opération, les autorités congolaises avaient ouvert une enquête. En juin 2016, dans un rapport rendu public, le gouvernement avait reconnu des cas de « dérapages » de la police au cours de cette opération. Au moins 30 policiers avaient été condamnés sans que les chefs d’accusation ni les peines ne soient dévoilés. Cependant, aucun des hauts-responsables impliqués dans l’opération meurtrière n’a fait l’objet de poursuites judiciaires, y compris ceux qui étaient aux commandes de l’opération, les généraux Célestin Kanyama, promu commissaire provincial de Kinshasa pendant l’Opération Likofi (aujourd’hui sans fonction) et Ngoy Sengelwa, à l’époque commandant de l’unité d’élite appelée Légion nationale d’intervention (LENI) et actuellement commissaire provincial de la police en Ituri.
Dans une plainte publique adressée au Procureur général de la République le 13 novembre 2014, les familles de 25 jeunes hommes et garçons tués ou disparus lors de l’Opération Likofi avaient demandé l’ouverture d’enquêtes pour « poursuivre et faire sanctionner les auteurs et complices (civils ou policiers) de ces actes criminels ». Cependant, ils n’ont jamais reçu de suite à leur plainte. Dix ans plus tard, ces familles continuent d’attendre que justice soit faite.
« On ne peut pas priver les familles des victimes de leur droit à connaître la vérité sur le sort de leurs enfants. Le rappel de la plainte 10 ans après les faits démontre que la recherche de la vérité et le besoin de justice n’ont pas disparu malgré le temps écoulé » a déclaré Me Joséphine Mbela, Présidente ad interim de l’Association Congolaise pour l’Accès à la Justice (ACAJ).
Depuis 2020, sous l’administration du président Félix Tshisekedi, la police a mené de nouvelles opérations contre les gangs et a arrêté des centaines de présumés kulunas qui ont été envoyés, sans inculpation ni procès, dans un centre d’éducation paramilitaire dans la province du Haut-Lomami, dans le sud-est du pays, où ils sont formés à différents métiers tels que la maçonnerie ou la menuiserie, et sont rémunérés. Bon nombre demeurent en détention provisoire à Kinshasa, dans l’attente d’une éventuelle inculpation.
Les victimes des opérations policières de lutte contre la criminalité urbaine sous l’administration précédente ainsi que leurs familles ne devraient pas être oubliées. Elles méritent justice.
Organisations signataires :
1. Action Contre l’Impunité pour les Droits Humains (ACIDH)
2. Agence pour la Gouvernance Participative et Droits Humains (Agopa-Dh)
3. Alliance pour l’Universalité des Droits Fondamentaux (AUDF)
4. Association Africaine Des Droits De l’Homme (ASADHO)
5. Association Congolaise Pour l’Accès À La Justice (ACAJ)
6. Centre d’Etudes et de Formation Populaire Pour les Droits de l’Homme (CEFOP-DH)
7. Fondation Bill Clinton pour la Paix (FBCP)
8. Groupe Lotus
9. Human Rescue DRC
10. Human Rights Watch (HRW)
11. Institut Alternative et Initiatives Citoyennes pour la Gouvernance Démocratique (I-AICGD)
12. Institut de Recherche en Droits Humains (IRDH)
13. Justicia Asbl
14. La Voix des Sans Voix pour les Droits de l’Homme (VSV)
15. Les Amis de Nelson Mandela pour La Défense Des Droits Humains (ANMDH)
16. Nouvelle Société Civile Congolaise (NSCC)
17. Réseau pour la Réforme du Secteur de Sécurité et Justice (RRSSJ)
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