Djoman, ce jeune Congolais dans les pas de Kery James, découverte Chansons sans frontières

Par Françoise Ramel°

Joël Mahamba, alias Djoman, est l’heureux lauréat 2021 du concours international Chansons sans frontières. Poète et slameur de 22 ans, l’artiste est né et vit à Butembo, dans la province du Nord-Kivu en RDC, une région en tension. « Emah », le texte retenu par le jury parmi 1164 propositions en provenance de 105 pays traduit la détresse qui enserre comme un étau une population victime d’insécurité.

Djoman dédie d’ailleurs son prix à toutes les victimes de massacre de par le monde et spécialement aux habitants de Béni, située à 54 km de Butembo dans la région des Grands lacs. La vie à Butembo est actuellement à l’arrêt. Dix jours de grève générale ont été décrétés pour exprimer la colère, l’incompréhension et l’élan de solidarité avec les familles de Béni prises au piège de l’angoisse permanente et du deuil depuis 2014. Elles sont l’objet de raids et de bains de sang contre lesquels le gouvernement de RDC semble impuissant.

Fils d’un professeur et d’une infirmière, Joël Mahamba trouve dans l’écriture un exutoire mais aussi la force de se forger un destin, une légende, par le seul pouvoir des mots, du rêve.Il parle swahili et kinande. C’est à l’école du village qu’il apprend le français ainsi qu’en côtoyant des grands noms de la littérature : Hugo, Lamartine. « Si je n’avais feuilleté les œuvres de ces immenses écrivains, ma plume serait leste, j’irai jusqu’à dire fragile. La force que porte leur pensée n’est pas à comparer avec la poésie d’aujourd’hui, dite moderne. Elle est puissante », explique Djoman.

Une première scène à 20 ans

Dans un futur proche, Joël Mahamba espère intégrer l’université pour suivre des études de journalisme ou de communication. Il n’a encore jamais voyagé, pas même jusqu’à Goma, cité touristique connue pour son festival Amani, qui aura lieu du 4 au 6 juin. Djoman rêve d’y être programmé, comme partout ailleurs « où ça peut marcher ».

Sa toute première scène, il la partage en novembre 2018 à Butembo grâce au collectif La plume d’Or qu’il s’est donné pour objectif de rejoindre pour exercer son art, rencontrer d’autres auteurs. Chaque mercredi depuis, il participe à des ateliers d’écriture thématiques. Mais c’est chez lui qu’il écrit, dans le calme comme dans le bruit, confiant son inspiration à des cahiers qu’il appelle son royaume des rimes.

En 2019, il fait ses premiers pas dans le slam. C’est sa façon à lui de combattre ce qui ne va pas, avec pour seules armes, une conscience et l’énergie des textes que porte sa voix.Ses références sont Grand Corps malade et le rapeur engagé Kery James, dont le titre « Rester en vie » ne le laisse pas indifférent.

Sur le dos du dragon 

En 2020, Joël Mahamba envoie un poème à une jeune auteure installée à Avignon, Ariane Vitalis. A sa grande surprise, elle lui répond. Depuis, tous deux partagent une belle complicité à distance autour de leur passion commune. Djoman témoigne : « Ce que j’aime chez elle, c’est son intelligence. Elle est déterminée et ambitieuse. Son regard m’aide dans mon travail d’écriture. »

Actuellement, Joël Mahamba travaille sur deux recueils de poèmes qu’il espère voir édités un jour. Le premier s’intitule Teze, contraction de Terni Zénith, comme si l’obscurité avait éteint les lumières du firmament. C’est d’ailleurs l’image que l’auteur utilise pour parler de Béni, terre baignée d’amertume où le ciel a perdu son soleil, où les enfants boivent la tragédie dans la coupe du Diable.

Autrefois pourtant les anciens racontaient devant la famille réunie comment les ancêtres Nande étaient arrivés au Congo en passant la rivière Semliki sur le dos du dragon, un mythe encore bien vivant. Ils cherchaient déjà une terre pour vivre en paix. Joël, bien des siècles plus tard, dit être en quête du jardin des fleurs de Paix.

L’autre recueil, « Les chansons noires et blanches » s’inspire directement du thème du concours Chansons sans frontières. Dans ces textes, Djoman trace un chemin de l’ombre à la lumière, du désespoir à l’espoir. Ce n’est sans doute pas sans lien avec le formidable appel d’air que lui offre ce premier prix international qui tombe à point nommé pour prendre son envol vers des sphères plus propices à la création.

La France, là où tout commence ? 

Parmi ces chansons, il y en une pour le maître à penser du jeune Congolais, Kery James. « Ton art, ton rap est si géant qu’il plane sur tous les espaces. Comme toi Kery, je serai un soleil pour mes petits frères. Je combattrai, je combattrai pour leur apporter des lumières », affirme Djoman.

Djoman est attendu le 17 juin à Caen pour la soirée de remise des prix Chansons sans frontières. Son tout premier voyage. Il doit pour l’instant attendre la fin de la grève pour entamer ses démarches d’obtention d’un passeport, puis du visa pour la France.

Lui qui n’a jamais vu Goma ou Kinshasa doit sa chance à un prénom féminin choisi au hasard, Emah. Music in Africa vous invite à découvrir ce texte qui permet de repérer ce jeune talent de RDC, de lui offrir une visibilité et d’endosser le costume d’ambassadeur culturel de sa communauté Nande. Djoman a conscience que ce déplacement est un rendez-vous important au-delà des retombées espérées pour sa propre carrière.

A Caen, il veut attirer l’attention sur la situation dramatique dans sa région et témoigner du manque d’opportunités à saisir pour les nombreux artistes qui y vivent. « Nous sommes comme des livres dans des tiroirs jamais ouverts », explique-t-il lors de l’interview exclusive accordée à Music in Africa.

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