Le terrorisme, une menace plus ressentie en Afrique que sur d’autres continents
Quelques remarques du secrétaire général des Nations Unies lors du débat de haut niveau du Conseil de sécurité sur « La lutte contre le terrorisme en Afrique – un impératif pour la paix, la sécurité et le développement ».
Prononcé le 10 novembre 2022 par la vice-secrétaire générale, Amina J. Mohammed.
« Permettez-moi de commencer par transmettre les salutations du secrétaire général António Guterres, au nom duquel je prononcerai ces remarques aujourd’hui.
Je voudrais remercier la présidence ghanéenne d’avoir convoqué ce débat sur une question aussi urgente.
Le terrorisme est une menace majeure pour la paix et la sécurité internationales.
Et nulle part cette menace n’a été ressentie plus vivement qu’en Afrique.
Les terroristes et les extrémistes violents, dont Daech, Al-Qaida et leurs affiliés, ont exploité l’instabilité et les conflits pour accroître leurs activités et intensifier les attaques à travers le continent.
Leur violence insensée, alimentée par la terreur, a tué et blessé des milliers de personnes.
Et beaucoup d’autres continuent de souffrir de l’impact plus large du terrorisme sur leur vie et sur leurs moyens de subsistance.
Les femmes et les filles en particulier portent le poids de l’insécurité et des inégalités.
Certains groupes terroristes ont une vision du monde misogyne qui prive les femmes et les filles de leurs droits fondamentaux.
La situation au Sahel et en Afrique de l’Ouest est particulièrement urgente, certains des affiliés les plus violents de Daech opérant dans la région.
Au cours des deux dernières années, ces groupes se sont étendus sur de vastes zones du Sahel, augmentant leur présence au Mali tout en pénétrant davantage au Burkina Faso et au Niger.
Ils se sont également étendus vers le sud dans les pays du golfe de Guinée qui ont jusqu’à présent largement évité les attaques terroristes ou sont récemment sortis d’un conflit armé.
Les groupes terroristes et extrémistes violents aggravent l’instabilité et la souffrance humaine. Et ils peuvent replonger un pays sortant d’une guerre dans les profondeurs du conflit.
Les dérèglements climatiques aggravent les choses, induisant des tensions intercommunautaires et une insécurité alimentaire exploitées par les terroristes et autres groupes criminels.
Et les outils numériques facilitent plus que jamais la propagation de la haine et de la désinformation.
Dans de nombreux cas, il peut être difficile de faire la différence entre les terroristes, les groupes armés non étatiques et les réseaux criminels.
Ces groupes poursuivent souvent des programmes et des stratégies différents, alimentés par la contrebande, la traite des êtres humains et d’autres méthodes de financement illicite.
Certains se sont transformés en insurrections – occupant des territoires et se présentant comme des alternatives à l’autorité de l’État.
Dans le monde hyper-connecté d’aujourd’hui, la propagation du terrorisme en Afrique n’est pas une préoccupation pour les seuls États membres africains.
Le défi nous appartient à tous.
La lutte contre le terrorisme international exige des réponses multilatérales efficaces.
De telles réponses doivent s’attaquer au terrorisme ainsi qu’aux menaces concurrentes et convergentes. Ceux-ci inclus:
L’aggravation de l’urgence climatique… les conflits armés… la pauvreté et les inégalités… le cyberespace anarchique… et la reprise inégale après la COVID-19.
Le nouvel Agenda pour la paix envisagé dans le cadre du rapport du Secrétaire général sur Notre agenda commun adoptera cette approche holistique et globale.
Dans un contexte de polarisation croissante, avec des divisions accrues résultant de la guerre en Ukraine, le nouvel Agenda pour la paix proposera des moyens de faire face aux risques nouveaux et émergents et de revitaliser notre système collectif de paix et de sécurité.
Permettez-moi de suggérer quelques idées à l’examen de ce Conseil, pour faire avancer les efforts de lutte contre le terrorisme en Afrique.
Premièrement, la prévention reste notre meilleure réponse au terrorisme, à l’extrémisme violent et aux autres menaces à la paix et à la sécurité.
Nous devons nous attaquer à l’instabilité et aux conflits qui peuvent conduire au terrorisme en premier lieu, ainsi qu’aux conditions exploitées par les terroristes dans la poursuite de leurs objectifs.
Si les opinions terroristes et extrémistes sont trop souvent accueillies par des personnes profondément insatisfaites, marginalisées et désespérées, c’est à nous d’aider à formuler des réponses qui répondent à ces conditions.
Il est essentiel de favoriser des approches sensibles aux conflits et d’intégrer les politiques pertinentes dans toutes les entités des Nations Unies.
Maintes et maintes fois, les réponses purement militaires et policières ont non seulement prouvé leurs limites – elles ont également été contre-productives.
Nous devons trouver un meilleur équilibre et assurer la cohérence et la complémentarité entre les réponses préventives et militarisées.
Il ne peut y avoir de développement durable sans paix, et il n’y aura certainement pas de paix sans développement durable.
L’Agenda 2030 et l’Agenda 2063 de l’Union africaine sont donc des outils de prévention cruciaux.
Deuxièmement, tout le monde doit être inclus.
La lutte contre les nombreux moteurs du terrorisme nécessite une approche « globale de la société », basée sur la communauté et sensible au genre.
Les stratégies de lutte contre le terrorisme ont de meilleures chances de répondre aux besoins et aux préoccupations de la société dans son ensemble lorsqu’elles englobent et reflètent un large éventail de voix, y compris la société civile, les minorités, les jeunes et le secteur privé.
Il existe des liens complexes entre le terrorisme, le patriarcat et la violence sexiste.
Les politiques de lutte contre le terrorisme sont donc souvent renforcées par la participation et le leadership significatifs des femmes et des filles.
L’engagement de tous les secteurs de la société nécessite un engagement politique soutenu dans tous les ministères et des partenariats avec la société civile, les communautés locales, le secteur privé et bien plus encore.
Troisièmement, la lutte contre le terrorisme ne peut jamais être une excuse pour violer les droits de l’homme ou le droit international.
Les abus commis sous couvert de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent ne peuvent que nous faire reculer.
Pour être efficaces, les politiques antiterroristes, comme toutes les politiques, doivent défendre l’état de droit et respecter le droit international, y compris le droit des droits de l’homme.
L’Appel [à l’action] du Secrétaire général pour les droits de l’homme place les droits de l’homme au centre du travail du système des Nations Unies – de l’action humanitaire à la paix et à la sécurité en passant par le développement durable.
C’est pourquoi, face à la détérioration de la situation sécuritaire et humanitaire dans la région du Sahel, le Secrétaire général a appelé à redoubler d’efforts pour promouvoir les institutions de l’État et l’ordre constitutionnel. Je voudrais réitérer son appel.
Nous attendons avec intérêt les recommandations du Groupe indépendant de haut niveau sur la sécurité et le développement au Sahel, pour renforcer la coordination internationale afin de faire face efficacement à la crise multidimensionnelle dans la région.
Quatrièmement, les organisations régionales ont un rôle essentiel à jouer.
Les défis posés par les groupes terroristes et extrémistes violents ne peuvent être relevés que par des approches adaptées aux contextes locaux.
De nombreuses initiatives régionales existent pour lutter contre le terrorisme en Afrique, de la Force multinationale mixte dans le bassin du lac Tchad à la Force conjointe du G5 pour le Sahel, l’Initiative d’Accra et le Processus de Nouakchott.
Ces arrangements régionaux nécessitent un soutien total et un engagement durable de la part de la communauté internationale.
Je salue le groupe de travail technique ONU-UA sur la prévention de l’extrémisme violent et la lutte contre le terrorisme, qui vise à accroître la coordination et les synergies entre nos deux organisations.
Je réitère également notre appel au Conseil de sécurité pour qu’il assure un financement prévisible des opérations de l’Union africaine autorisées par ce Conseil, notamment pour lutter contre le terrorisme.
Comme l’a demandé ce Conseil, nous préparons un rapport d’étape conjoint sur le financement des opérations de paix de l’UA, qui est attendu en avril 2023.
Nous devons mettre en place une architecture innovante qui soutient les opérations de paix africaines de manière efficace et durable.
Je souhaite également saisir cette occasion pour féliciter la CEDEAO, les présidents actuel et passé, pour leurs efforts visant à résoudre les conflits entre agriculteurs et éleveurs par le biais de protocoles sur la transhumance et la libre circulation des personnes et des biens.
La seule solution durable aux moteurs sous-jacents des conflits passe par un développement durable qui ne laisse personne de côté.
Cela m’amène à mon cinquième et dernier point : la prévention et la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent nécessitent des ressources.
L’ampleur du problème appelle des investissements audacieux.
S’attaquer à ces obstacles interdépendants – de la privation économique au crime organisé et aux défis de gouvernance – nécessite un financement durable et prévisible, à grande échelle.
En conclusion, je salue le prochain Sommet sur la lutte contre le terrorisme en Afrique, organisé conjointement par le Bureau des Nations Unies contre le terrorisme et le Nigeria en octobre 2023.
Ce sera l’occasion d’examiner les moyens de renforcer l’appui des Nations Unies aux efforts de lutte contre le terrorisme à travers le continent.
Je suis convaincu que le débat d’aujourd’hui offrira des informations utiles pour ce sommet, nous rapprochant des solutions dont nous avons besoin pour faire face à la menace du terrorisme en Afrique et contribuer à construire des communautés et des sociétés pacifiques et stables à travers le continent.
Merci ».
°Traduit de l’anglais