Rapport Africa Sans Haine sur les discours de haine liés aux élections du 20 décembre 2023 en RDC

Découvrez le rapport d’Africa Sans Haine sur les discours de haine en période électorale en République démocratique du Congo.

  1. Introduction

Conformément à sa mission de lutte contre les discours haineux et la désinformation, Africa Sans Haine a observé les discours de haine liés au processus électoral de 2023 en République démocratique du Congo. Pour cela, nous avons lancé une campagne intitulée : « Elections 2023 sans haine ni violences en RDC. » Cette campagne a duré quatre mois, soit d’octobre 2023 à janvier 2024. Le présent rapport reprend les discours haineux et dangereux, mais aussi les infox, que nous avons documentés en rapport avec les élections.

Notre campagne a bénéficié de l’accompagnement de l’Alliance mondiale de lutte contre la haine digitale et l’extrémisme (GAADHE) et du Réseau international de lutte contre la cyber haine (INACH).

Contexte

La RDC est allée aux urnes le 20 décembre 2023 pour élire son président, ses députés et ses conseillers municipaux. Le vote s’est étalé sur quelques jours pour des bureaux de vote qui ont connu des retards de déploiement de matériels électoraux.

Aux termes des résultats provisoires officiels publiés le dimanche 31 décembre 2023 par la Commission électorale, le président sortant Félix Tshisekedi a été proclamé vainqueur avec 73.34% de voix, suivi respectivement des opposants Moïse Katumbi 18% et Martin Fayulu 5%. Résultats confirmés à quelques exceptions près par la Cour constitutionnelle.

En période électorale, nous avons fait le constat selon lequel l’approche utilisée par les principaux candidats n’était pas de jouer à l’apaisement, mais plutôt d’enflammer le processus pour en tirer profit, en prétextant la mauvaise foi de l’adversaire ou des problèmes logistiques et autres dysfonctionnements de la Commission électorale nationale indépendante (Céni). Le débat d’idées, de valeurs et de programmes était quasi-absent.

Avant, pendant et après les élections, ASH a noté une montée exponentielle de messages de haine et d’incitation à la violence, non seulement en ligne, mais aussi hors ligne. Certains candidats et leurs partisans se sont déchaînés avec des discours dangereux et incendiaires. La cohésion sociale et l’unité nationale ont été gravement mises à mal par les discours des candidats et de leurs sympathisants, particulièrement sur les réseaux sociaux. Plus grave, pas moins de 19 décès ont été enregistrés dans le contexte électoral.

Cependant, il nous faut préciser qu’avec nos moyens limités, nous ne pouvons prétendre avoir listé de manière exhaustive tous les cas de discours de haine liés aux élections de 2023 en RDC. Néanmoins, les cas documentés par Africa Sans Haine sont représentatifs de ce qu’a été le climat électoral avant, pendant et après le 20 décembre, jour des scrutins.

II. Qui sommes-nous ? 

Nous sommes une organisation à but non lucratif et un média en ligne créé en 2020 et basé en République démocratique du Congo. Africa Sans Haine est lauréat du premier prix international Ronald and Suzette 2021 de Magenta Foundation qui récompense les personnes et les organisations qui se distinguent dans la lutte contre les discours de haine dans le monde.

Africa Sans Haine est membre de l’Alliance mondiale de lutte contre la haine digitale et l’extrémisme (GAADHE) et du Réseau international de lutte contre la cyber haine (INACH).

III. Méthodologie

Pour combattre les discours de haine pendant les trois derniers mois du processus électoral en RDC, Africa Sans Haine a mené sa campagne en publiant des contenus qui dénoncent et découragent les discours de haine, mais aussi en documentant de tels discours, en vue d’en présenter un rapport à partager à l’issue de l’observation.

Nous nous sommes intéressés beaucoup plus aux différentes communications politiques liées aux élections, notamment à la tonalité des discours des candidats.

Nous avons travaillé sur trois axes principaux, notamment :

  1. Les discours de haine liés aux élections ;
  2. Les appels à la violence et aux meurtres liés aux élections ;
  3. La désinformation liée au processus électoral.

Les types de messages documentés sont :

  • Les insultes simples ;
  • Les insultes à caractère ethnique ;
  • La déshumanisation ;
  • L’incitation à la haine ethnique ;
  • La violence ou l’appel à la violence ;
  • Les meurtres ou l’appel aux meurtres ;
  • Les attaques verbales, écrites ou physiques contre les femmes ;
  • Les appels à la division du Congo.

La localisation géographique de la plupart de ces messages haineux c’est non seulement l’espace grand Katanga, mais aussi le grand Kasaï, le Bandundu et la ville de Kinshasa. Nous avons épinglé le Katanga, le Kasaï, le Bandundu et Kinshasa, parce que ces espaces sont apparus comme la zone rouge des discours de haine tout au long du processus électoral.

D’autre part, il y a des individus bien connus en RDC pour leur habitude à propager des messages de haine ethnique et de violence sur les réseaux sociaux. Cependant, nous nous refusons à mentionner ici leurs noms pour éviter de les exposer.

Notre rapport prend en compte essentiellement la période allant du mois d’octobre 2023 à celui de janvier 2024.

IV. La haine électorale en chiffres

En quatre mois, nous avons documenté au total 11488 messages de haine, de violence et de désinformation dans le contexte électoral en République démocratique du Congo, à raison de :

  • 6007 sur Twitter
  • 3209 sur Facebook
  • 915 sur TikTok
  • 76 sur YouTube
  • 1281 dans les commentaires au bas des articles des médias en ligne.

Ces chiffres se répartissent comme suit :

  • 84 appels aux meurtres
  • 398 injures
  • 2054 incitations à la violence
  • 5066 messages de haine ethnique
  • 3124 propos xénophobes
  • 173 animalisations
  • 589 cas de désinformation et/ou de partage d’infox.

Ces statistiques comprennent des vidéos, des photos, des écrits postés, des commentaires et certains emojis. La majorité des discours de haine étaient dirigés contre les Kasaïens, les Katangais et les Tutsis.

V. Un climat pré-électoral délétère

Avant la campagne électorale, les membres de l’opposition étaient vent debout contre la Commission électorale nationale indépendante (Céni) à cause de son refus d’autoriser un nouvel audit externe et indépendant du fichier électoral. Cette revendication de l’opposition était appuyée par la hiérarchie des églises catholique et protestante à travers la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) et l’Eglise du Christ au Congo (ECC). 

A ce sujet, nous avons documenté plusieurs messages de haine des partisans de l’opposition contre le président de la Céni, Denis Kadima. Ils justifiaient ces messages en prétextant le refus d’autoriser l’audit du fichier électoral, mais aussi en raison de l’appartenance de Kadima à l’ethnie Luba du Kasaï.

D’autres messages haineux étaient dirigés contre le président de la Cour constitutionnelle, Dieudonné Kamuleta, parce qu’originaire du Kasaï, même région que le chef de l’Etat. Si bien qu’avant même les élections, on prêtait à Kamuleta l’intention d’invalider le moment venu la candidature de Moïse Katumbi et de proclamer la réélection de Félix Tshisekedi.

D’autre part, nous avons également documenté des messages haineux des partisans du président Tshisekedi contre l’Eglise catholique, notamment la Cenco, accusée d’être à la solde de l’opposition. Ces messages venant des pro Tshisekedi, visaient particulièrement deux prélats catholiques : l’archevêque de Kinshasa le cardinal Fridolin Ambongo et le secrétaire général de la Cenco Donatien Nshole. Pour les partisans du régime en place, les deux prélats roulent pour un candidat, notamment Moïse Katumbi.

VI. Des candidats pas prêts à accepter une éventuelle défaite électorale

Aux mois de septembre et octobre 2023, le processus électoral en était au dépôt et au traitement des candidatures à l’élection présidentielle. Déjà, dans cette période, les discours toxiques et triomphalistes des candidats battaient leur plein dans les médias et les réseaux sociaux.

Chaque camp politique disait être celui qui va remporter les élections, et personne ne semblait prêt à accepter une éventuelle défaite électorale. A titre d’exemple, sur Top Congo pendant la campagne électorale, à la question de savoir si en cas de sa défaite il s’inclinerait devant les résultats des urnes, le président Tshisekedi répond : « Wana Tuna Nzambe… » , (en français : posez cette question à Dieu). De son côté, l’opposant Martin Fayulu a fait cette déclaration avant les élections du 20 décembre : « Cette fois-ci, ça ne passera pas, nous devons nous mobiliser pour empêcher que la parodie électorale en préparation ne se réalise. »

Bref, dans l’esprit des candidats, toute défaite ne pouvait venir que de la fraude. Cette conception de la victoire plantait ainsi un décor et une perspective de contestations et de probables violences dues au refus d’accepter les résultats des élections.

Lors d’une séance organisée par la Céni avec tous les candidats à la présidentielle en novembre 2023, ces derniers ont refusé de signer le code de bonne conduite pendant les élections. Du coup, cela faisait craindre des dérapages volontaires, dans la mesure où chacun des acteurs, opposition comme majorité, accusait l’autre de mauvaise foi.

VII. Discours des candidats pendant la campagne électorale

Nous avons noté que les différents candidats à la présidentielle sont entrés en campagne électorale avant même le début officiel de cette campagne. L’esprit était d’en découdre coûte que coûte avec l’adversaire. A titre d’exemple, lors du dépôt de sa candidature, le président sortant Félix Tshisekedi a lancé cette phrase : « Je mets en garde notre population contre les candidats de l’étranger. Vous les reconnaîtrez par leur langage. » Une flèche qui visait clairement Moïse Katumbi dont le père est Juif, mais aussi le prix Nobel Denis Mukwege dont la candidature était soupçonnée d’être soutenue par des puissances étrangères et des promoteurs de l’homosexualité.

Denis Mukwege a réagi à son tour en qualifiant Félix Tshisekedi (sans le nommer) d’être de ceux qui ont vécu grâce « aux subventions de l’assistance sociale en Europe et qui n’ont pas d’adresse connue au Congo, à part celle de leur père… ».

Toutes ces attaques étaient largement amplifiées sur les médias et les réseaux sociaux. C’est dans cette température que la campagne électorale a débuté le 19 novembre 2023. Les principaux candidats avaient en place leurs armées numériques constituées de personnes bien identifiables pour attaquer et contrattaquer l’adversaire. De faux comptes de réseaux sociaux étaient créés et fortement mis à contribution.

VIII. Les réseaux sociaux congolais en période électorale

Pendant la période électorale, les réseaux sociaux ont été à la pointe de l’intoxication et de la manipulation de l’opinion. En RDC, la quasi-totalité des groupes et pages Facebook liés à la politique n’ont pas de modérateurs de contenus. Et ceux qui en ont, les modérateurs ne font pas leur travail. N’importe quel abonné du groupe ou de la page, vient publier ce qui lui passe par la tête et attend les like et les commentaires. Pareil sur X et TikTok.

Dans certains groupes et pages Facebook, les administrateurs sont les premiers propagateurs de fausses informations et de messages de haine. Ils sont motivés par la recherche du buzz et des clics.

Nous avons noté que la tension électorale suscitée dans le pays dès les premières heures du jour du vote, est partie des réseaux sociaux avec des publications virales telles que « élections chaotiques », « chaos électoral », « naufrage électoral », etc. Des irrégularités, incidents et dysfonctionnements enregistrés dans quelques centres de vote étaient largement partagés comme si c‘était le cas dans chaque bureau de vote de l’ensemble du pays. L’objectif était de discréditer les scrutins.

IX. Propos dangereux des politiciens et des leaders d’opinion

Les hommes politiques et les leaders d’opinion ont été à la base de la détérioration du climat électoral dans le pays. Au lieu de jouer à l’apaisement, ils envoyaient plutôt des messages qui mettaient de l’huile sur le feu. Africa Sans Haine a noté entre autres les déclarations haineuses et dangereuses des hommes politiques et des leaders ci-après :

  • Justin Bitakuira : « Un Tutsi est un criminel né. Ils sont tous pareils. » 
  • Félix Tshisekedi à Lubumbashi : « Faites attention aux candidats de l’étranger ! Ils passeront ici et parleront le swahili. »
  • Cette vidéo stigmatise ceux qui parlent le swahili à Kinshasa ;
  • Moïse Katumbi : « Les gens qui s’opposent à moi sont d’un seul village[Les Kasaïens NDLR]. »
  • Général John Numbi aux chefs d’Etats invités à la cérémonie d’investiture de Félix Tshisekedi : « Je recommande vivement aux présidents de décliner l’invitation de Kinshasa pour assurer leur sécurité. Toute personne prenant part à cette manifestation sera traitée comme un ennemi des Congolais. » ;
  • John Kabeya Shikayi, gouverneur de la province du Kasaï Central : « Si vous voulez faire votre campagne électorale, vaut mieux aller ailleurs. Car, ici au Kasaï Central, c’est une province qui appartient uniquement à Félix Tshisekedi. »
  • King Zobrata : « Moïse Katumbi et Joseph Kabila ne sont ni Congolais, ni Katangais. Ce sont des étrangers réfugiés au Congo. »
  • Un groupe de Kasaïens sur le second mandat de Félix Tshisekedi : « Le pouvoir des Ba Luba sera sans fin. Le mandat de Tshisekedi sera illimité. Le Congo va devenir un royaume dirigé par les Ba Luba. »
  • Gentiny Ngobila au pasteur Gode Mpoyi : « Gode Mpoyi est un voleur et un serpent. Qu’il se prêche lui-même. »
  • Jean Pierre Bemba : « Moïse Katumbi n’est pas Congolais ni dans son âme, ni dans son esprit, ni dans son sang. Je le défie de prouver qu’il connait l’hymne national. »
  • Kalala Kalaham : « Si Moïse Katumbi vient faire sa campagne à Mbujimayi ou dans l’espace grand Kasaï, tout Kasaïen qui osera aller l’accueillir, devra également monter avec lui dans son avion et partir avec lui. »
  • M. Munkina, « émetteur stratégique » de Martin Fayulu, déclare : « Que les Kasaïens oublient qu’ils dirigeront Kinshasa. Le gouverneur doit venir du Bandundu ou du Kongo Central, car Kinshasa est notre terre. »
  • Christian Mwando Nsimba après les élections : « Je demande à tout le Grand Katanga de se tenir debout et prêt au combat, prêt au sacrifice suprême parce que notre victoire ne nous sera jamais volée. »

Avant la période de dépôt des candidatures à la présidentielle, le même Mwando Nsimba avait relayé le message sécessionniste des jeunes Katangais selon lequel : « Si la candidature de Moïse Katumbi n’est pas retenue par la Céni et la Cour constitutionnelle, le Katanga sera coupé du Congo. »

Sur les pages, groupes et comptes Facebook et X, déferlaient de nombreux messages d’appels à tuer ou à chasser les Kasaïens vivant au Katanga et dans d’autres provinces. Ce qui étonnait à ce sujet c’est le silence des principaux candidats à la présidentielle, comme s’ils trouvaient cela normal.

Dans un contexte électoral caractérisé par de vives tensions politiques et ethniques, les leaders devraient être les premiers à condamner le mal et à promouvoir la paix. Ils devraient s’interdire de toute déclaration susceptible d’envenimer la situation.

X. La guerre d’images de drones (le mpiaka)

Pendant la campagne électorale, l’une des causes de messages haineux était la bataille d’images de foules aux meetings des candidats. Plusieurs candidats étaient incapables de drainer des foules à leurs rassemblements. Des photos ou des vidéos montrant des meetings de campagne sans assez de monde, étaient virales et hyper partagées sur les réseaux sociaux. On y mettait souvent la mention « mpiaka » (bredouille) ou « Wazekwa » en référence au chanteur congolais Félix Wazekwa qui, lors de son concert au stade des Martyrs le 12 août 2023, n’avait pas réussi à remplir de monde les gradins. De telles images étaient partagées pour se moquer et insulter les candidats surnommés « mpiakeurs », c’est-à-dire incapables de mobiliser des foules.

Par exemple, pendant les maigres meetings de campagne du candidat Denis Mukwege, les internautes congolais se sont moqués de lui en disant : « Il pensait que c’était une campagne de vaccination ! », pour dire qu’il n’y a pas eu d’affluence du public au meeting du prix Nobel.

Ainsi, pour combler les vides très visibles dans leurs images de meetings ou de cortèges, certains candidats n’hésitaient pas à faire retravailler les images, parfois à l’aide de l’intelligence artificielle.

XI. Loi Tshiani ou la congolité des candidats

Une autre source de discours de haine pendant le processus électoral de 2023 c’est la loi Tshiani. Son contenu, applaudi par les uns et jugé xénophobe par les autres, a beaucoup fait parler de lui pendant la campagne électorale. Candidat malheureux à la présidentielle de 2018 et ressortissant de l’espace grand Kasaï, Noël Tshiani est celui qui avait initié cette proposition de loi sur la congolité des candidats à l’élection présidentielle en RDC. Pour lui, ne peut être candidat président(e) de la République que la personne née Congolais(e) de père et de mère congolais.

Cette proposition de loi, qui n’a pas encore été traitée au Parlement, visait sans nul doute à exclure des candidats comme Moïse Katumbi du Katanga, dont le père est Juif d’origine grecque. Ainsi, la majorité des attaques haineuses des Katangais contre les Kasaïens avaient pour objectif de défendre le droit de Katumbi à être élu président de la République en RDC. Les messages de haine tournaient autour du rejet ou non de sa candidature à l’élection présidentielle.

XII. Candidature de Katumbi validée par la Céni et la Cour constitutionnelle

Finalement, plus de peur que de mal : la candidature de Moïse Katumbi a été validée tant par la Céni que par la Cour constitutionnelle. En plus, la haute Cour n’a rejeté aucune candidature à la présidentielle. Ce qui écartait définitivement le spectre d’élections non inclusives. Une décision saluée par la communauté internationale. Cependant, cela n’a pas empêché les messages haineux et xénophobes aussi bien contre Katumbi que contre les Kasaïens.

XIII. L’animalisation des candidats et de leurs ethnies

Les messages de haine se sont intensifiés pendant la campagne électorale entre les pro et les anti Félix Tshisekedi. Beaucoup de désinformations pour nuire aux chances de l’un ou de l’autre candidat.

Les insultes déshumanisantes et les attaques contre les ethnies étaient au rendez-vous. Dans l’espace Katanga, les Kasaïens sont appelés « chiens », ou encore « Bilulu » (insectes). Le président Tshisekedi est surnommé « kivube » (têtard). Son épouse la première dame est également surnommée « kisanya » (punaise de lit). En retour, les pro Tshisekedi ont surnommé Moïse Katumbi « kangulube » (cochon).

Incroyable d’imaginer des peuples d’une même nation sortir de tels qualificatifs et une telle haine entre eux. Preuve que les fractures ethniques sont plus profondes qu’on ne le croit dans le pays.

XIV. 20 décembre, jour des scrutins

Ce que nous avons noté le 20 décembre 2023 :

  • Des bureaux de vote qui ouvrent en retard, parfois l’après-midi ;
    • Des individus votant plusieurs fois ;
    • Contrairement aux élections de 2018, Internet n’était ni coupé ni perturbé ;
    • Certaines personnes ont continué à battre campagne pour leurs candidats même devant les centres de vote, en violation de la loi.
    • Il y en a qui faisaient valoir leur appartenance tribale disant : « Ici c’est le fief de notre candidat untel. Si vous osez voter pour quelqu’un d’autre que lui, vous êtes un traître ! »  Ces individus n’hésitaient pas à menacer les agents de la Céni devant les bureaux de vote ;
    • Les principaux candidats, notamment Félix Tshisekedi, Moïse Katumbi, Denis Mukwege et Martin Fayulu ont voté dans le calme. Chacun se disait confiant de sa victoire.
    • Plus tard, les candidats de l’opposition ont commencé à dénoncer des fraudes, puis à réclamer l’annulation des élections ;
    • Leur marche à Kinshasa pour faire usage de l’article 64 de la Constitution a été étouffée dans l’œuf au siège du parti de l’opposant Martin Fayulu ;
    • Etc.

XV. Les conséquences de la haine et de l’intolérance sur les électeurs

Les discours de haine et l’intolérance politique ont eu pour conséquences de démotiver certains électeurs à aller voter. Dans le Katanga et le Kasaï par exemple, il y a eu des citoyens qui ont refusé d’aller voter à cause des menaces et pour éviter d’être pris pour cible par les extrémistes du pouvoir ou de l’opposition. Etre identifié comme électeur de Moïse Katumbi, dans certains centres de vote dans le Kasaï, équivalait à mettre sa vie en danger. Pareil dans certains territoires du Katanga lorsqu’on était supposé être électeur de Félix Tshisekedi.

Voilà comment, la haine et l’intolérance peuvent nuire au droit et à liberté de vote.

XVI. Violences électorales et incitation à la violence

Nous avons documenté des violences physiques graves, des incitations à la violence et des actes de vandalisme électoral. Certaines violences physiques ont entraîné mort d’homme. Déjà le Centre Carter faisait état de 19 décès liés aux violences électorales en République démocratique du Congo. Au nombre des morts, il y a deux candidats, toujours selon le Centre Carter.

Parmi les cas de violences ou de décès liés au contexte électoral, figurent :

  1. Cinq morts et plusieurs habitations incendiées en territoire de Dekese, province du Kasaï ;
  2. Un expert électoral belge mort après avoir « chuté du 12e étage de son hotel à Kinshasa » ;
  3. Un mort à Kindu au Maniema au passage du candidat Moïse Katumbi pendant la campagne électorale ;
  4. Quatre Kasaïens tués dans des atrocités incroyables à Malemba Nkulu dans la province du Haut Lomami ;
  5. Un officier des Forces armées de la RDC lynché à mort en raison de son appartenance à l’ethnie tutsie ;
  6. Un mort sur la route Mbujimayi – Tshilenge. La victime transportait à moto les materiels de campagne électorale pour un candidat ;
  7. Le cortège de Martin Fayulu caillassé à Tshikapa dans la province du Kasaï ;
  8. Des coups de feu et plusieurs blessés lors du meeting du candidat Moïse Katumbi à Moanda au Congo Central ;
  9. Une femme frappée et déshabillée à Mbujimayi pour avoir incité à voter pour Moïse Katumbi ;
  10.  Lors de la publication des résultats de la présidentielle, des dizaines de familles de Kasaïens violentées et chassées de leurs habitations à Luena dans le Haut Lomami. Motif : Félix Tshisekedi originaire du Kasaï, n’aurait pas dû être présenté comme le gagnant de la présidentielle du 20 décembre 2023 ;
  11.  Des affiches de campagne des candidats de l’opposition comme de la majorité déchirées ou brûlées dans presque toutes les provinces ;
  12.  Le siège du parti Ensemble pour la République de Moïse Katumbi incendié par des partisans de Félix Tshisekedi à Mbujimayi au Kasaï-Oriental ;
  13.  Le siège de l’UDPS, parti au pouvoir, également saccagé à Kashobwe dans le Haut Katanga par des partisans de Moïse Katumbi ;
  14.  Des bureaux  de vote saccagés et des machines à voter détruites à Tshikapa, Bunia, etc. D’autres centres de vote étaient contrôlés par des miliciens, avec tout ce que cela comporte comme risques.

Dans une interview, Moïse Katumbi déclarait : « Les gens qui s’opposent à moi sont d’un seul village. » Il faisait allusion aux Kasaïens. Et lorsqu’il y a eu des tueries des Kasaïens à Malemba Nkulu dans la province du Haut Lomami, ces événements ont été attribués par certains aux déclarations susmentionnées de Katumbi. Une plainte a même été déposée contre lui à la Cour de cassation pour incitation à la haine ethnique ayant entraîné des violences communautaires.

Des violences diverses ont également été perpétrées contre des femmes en période électorale. Comme le résume cette interview d’Anny Modi, défenseuse des droits des femmes en RDC. La liste de cas de violences électorales ou d’incitation à la violence n’est pas exhaustive.

XVII. Désinformation et intoxication électorale

Beaucoup d’intoxications et de fausses informations ont été distillées par des internautes et des journalistes. Parmi les infox, il y a surtout celle selon laquelle « il n’y aura pas d’élections le 20 décembre ». Cette affirmation véhiculée non comme une hypothèse, mais plutôt comme une vérité absolue et formelle, a contribué à démotiver certains candidats et même de nombreux électeurs.

Voici d’autres infox documentées en période électorale :

  • Un faux compte X avec l’identité de l’Union européenne a réclamé l’annulation des élections du 20 décembre et demandé l’organisation de nouveaux scrutins dans un délai de six mois.
  • Une séance de formation des agents de la Céni avec des machines à voter avant les élections, a été présentée à tort comme une séance de fraudes électorales massives en faveur d’un candidat à la présidentielle ;
  • Moïse Katumbi déclare : « Qui ont attribué la nationalité rwandaise à Joseph Kabila ? Ce sont les talibans ! » [sous-entendu les Kasaïens. NDLR].

Or, la supposée « nationalité rwandaise » de Joseph Kabila est évoquée par plusieurs sources extérieures qui n’ont rien à voir avec les Kasaïens. Par exemple, un parlementaire « belge » en parle dans cette vidéo. En plus, Moïse Katumbi lui-même a qualifié Joseph Kabila d’étranger détenant un passeport tanzanien ;

  • A quelques du 20 décembre, un internaute déclare sur X : « Denis Kadima gravement malade et transporté d’urgence pour des soins au Canada. » Fausse information ! Car, le président de la Céni était bien portant en chair et en os à Kinshasa en train de recevoir les observateurs électoraux de la SADC. Cette infox était donnée dans l’intention de faire croire qu’il n’y aurait pas d’élections le 20 décembre ;
  • Un faux tract annonçant une opération de contrôle de la police à Lubumbashi après les élections. Information démentie par les autorités de la police de Lubumbashi ;
  • Une autre infox circulait dans les réseaux sociaux disant que le dimanche 31 décembre jour de la publication des résultats provisoires de l’élection présidentielle, le gouvernement congolais a interdit les cultes religieux sur l’ensemble du pays. Information démentie par le ministre de l’Intérieur Peter Kazadi ;
  • Encore une infox sur X affirmant qu‘ « en prévision de sa défaite électorale, Félix Tshisekedi était en train d’évacuer sa famille et ses biens de valeur vers Bruxelles et Dubaï par vol affrété ». Information démentie par Tina Salama, la porte-parole du président Tshisekedi. Contrairement à cette infox, la famille Tshisekedi était bel et bien à Kinshasa.
  • « Une femme tabassée à Mbujimayi parce qu’elle a voté pour Moïse Katumbi ». Information vraie mais tronquée ! Car, d’après la presse locale, cette femme bien connue à Mbujimayi (nous taisons son nom et sa fonction) a provoqué la colère des jeunes de son quartier parce que le jour même du vote, elle avait réuni des gens à qui elle offrait 10 000 francs à chacun pour voter pour Moïse Katumbi. Même alors, nous condamnons fermement le fait qu’elle ait été passée à tabac.
  • Une folle rumeur disait le jour du vote : « Les machines à voter sont truquées. Quand vous appuyez sur le numéro 20, c’est le numéro 3 qui s’affiche. En d’autres termes, quand on vote pour Félix Tshisekedi, c’est la photo de Moïse Katumbi qui s’affiche. » Cette allégation n’a pas été confirmée par la Céni, encore moins par les autorités.

La liste d’infox n’est pas exhaustive.

XVIII. Les missions d’observation électorale et leurs rapports

Le travail des missions d’observation électorale était un des enjeux des élections du 20 décembre. Leur avis devait crédibiliser ou discréditer les scrutins. Outre les missions d’observation qui étaient déjà en place comme la Cenco-ECC, la Symocel, etc., il y a eu des missions d’observation électorale comme le Centre Carter, La diaspora africaine en Europe, la SADC, l’Union africaine, etc.

A noter que la mission d’observation électorale de l’Union européenne s’était retirée de la RDC au début de la campagne électorale, officiellement pour des « contraintes techniques ».

Après le déroulement des élections, toutes les missions d’observation électorale où presque ont dénoncé des irrégularités et des dysfonctionnements. Cependant, elles ont été unanimes à reconnaître que ces irrégularités et dysfonctionnements ne mettaient pas en doute les résultats finaux de l’élection présidentielle.

Du côté des leaders de l’opposition, le rapport d’observation électorale le plus attendu était celui de la mission Cenco-ECC. Tout en dénonçant « de nombreux cas d’irrégularités dans certains endroits », le rapport des Eglises catholique et protestante a fait état d’« un candidat qui s’est largement démarqué des autres avec plus de la moitié des suffrages à lui seul ».

XIX. Rôle des médias et armées numériques

En RDC, il y a des « journalistes » à la solde des autorités et des personnalités politiques. Ils sont payés pour nuire à l’image des adversaires politiques de leur employeur. Le respect de l’éthique et de la déontologie du journalisme était le moindre de leurs soucis. Sur X par exemple, on pouvait identifier ces soi-disant journalistes par leurs posts. Ils tweetaient mot à mot la même chose, dans les mêmes termes et tous au même moment ou presque. Preuve que ce sont des tweets conçus quelque part et envoyés à eux pour partager. C’est ce qu’on appelle ici les armées numériques des hommes politiques.

Certains n’hésitaient pas à faire l’apologie des messages de haine ethnique, sans se préoccuper des conséquences de tels messages dans la société. Tout ce qui les intéressait c’était de faire accepter leur candidat.

Sur la RTNC, un média public, il n’y a pas eu d’équité de temps d’antenne pour les 26 candidats pendant la campagne électorale. A titre d’exemple, on a rarement vu les images de campagne du candidat Moïse Katumbi sur la télévision publique. Dans toutes les éditions, il n’y avait que Félix Tshisekedi et quelques candidats apparemment triés sur le volet.

XX. Recommandations

Grâce aux leçons tirées de son observation des élections du 20 décembre 2023, Africa Sans Haine fait les recommandations suivantes en vue d’améliorer la tenue de prochains scrutins de 2028 :

  • Mettre en prison des auteurs de messages de haine ethnique et de division liés aux élections : cela permet d’avoir un climat électoral où chaque citoyen se sentira protégé dans ses droits en tant que Congolais ;
  • Contraindre les utilisateurs des groupes, pages et comptes des réseaux sociaux à assurer la modération stricte de leurs contenus sous peine de les fermer ;
  • Rendre inéligibles à vie les candidats fraudeurs : cela a pour avantage de dissuader de nouvelles tentatives de fraudes électorales et permet de moraliser l’exercice électoral et de crédibiliser les élections ;
  • Renforcer l’éducation à la citoyenneté : cela permet aux citoyens et aux candidats de ne pas poser des actes contraires au patriotisme ;
  • Renforcer l’autorité  de l’État : cela permet de prévenir et d’empêcher les violences électorales, la destruction de matériels électoraux, l’anarchie et les fraudes ;
  • Organiser les élections en saison sèche : cela permet de minimiser les problèmes de déploiement et d’acheminement de matériels électoraux, mais aussi les difficultés de déplacement des électeurs vers les bureaux de vote. Ces problèmes se posent lorsqu’il y a des intempéries telles que des pluies torrentielles, des routes inondées…
  • Consolider les avancées du processus électoral de 2023, à savoir :
    • Élections dans le délai constitutionnel ;
    • Elections sans coupure ni restrictions d’Internet ;
    • Publication des résultats circonscription par circonscription et bureau de vote par bureau de vote ;
    • Invalidation des candidats auteurs d’actes de fraudes électorales ;
    • Vote des Congolais de la diaspora ;
    • Organisation de tous les scrutins à la fois, notamment les élections : présidentielle, législatives, provinciales et locales.

ASH

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